Qu’est-ce que cette crise du Coronavirus a de si nouveau ? - Laurent Bibard

Laurent Bibard est Professeur du Département Management de l'ESSEC Business School et fondateur de la Chaire Edgar Morin de la Complexité. Enseignements et propositions : qu'est-ce que la crise du coronavirus a de si nouveau et que peut-elle nous enseigner ?

Laurent Bibard est Professeur du Département Management de l'ESSEC Business School et fondateur de la Chaire Edgar Morin de la Complexité. Enseignements et propositions. 

Prenons du recul, même si c'est contre intuitif, pour bien poser les questions dans une situation extrêmement complexe, avec trois constats

  • Cette crise met à mal notre rêve de contrôle. 
  • Nous sommes la crise … nous portons aussi les possibilités de réponses. 
  • Une crise, nous pouvons l’augmenter mais aussi contribuer à l’apaiser, cela dépend fondamentalement de nos comportements. 

Quel est notre rapport au contrôle ? La crise de la connaissance et des sciences

Les connaissances scientifiques en tant que telles sont extrêmement humbles, une humilité des sciences qui remonte à la crise des fondements des sciences au XXème siècle. En revanche, nous accordons une confiance souvent excessive aux technologies, qui ne sont pas des sciences, qui sont radicales et potentiellement dévastatrices. Les technologies ne sont pas un but, elles sont un moyen de notre existence. Les humains introduisent de l’incertitude dans les systèmes mais aussi de la flexibilité et de la souplesse, si nous étions tout puissants, il n’y aurait pas de crise du coronavirus. 

 Nous devons ralentir cette fascination pour les technologies. 

 Quel est notre rapport au contrôle ? La crise de l’action, de la vie politique et morale

Sur le plan moral et politique, le XXème a connu une crise fondamentale avec le nazisme et les révolutions communistes. Le même esprit de contrôle se manifeste toujours aujourd’hui avec la recherche de trois critères caractéristiques

  • l’ampleur via un capitalisme mondialisé et le monde mondialisé
  • la perfection via une culture du résultat de plus en plus exigeante qui nous renvoie au court termisme dans les entreprises
  • le déracinement via un plaidoyer pour le changement, l’innovation et la nouveauté … souvent avec le fantasme de faire table rase du passé

 Nous devons réapprendre une forme de tempérance et de modestie. De ténacité dans nos décisions, l’obligation de moyens et non de résultats systématiques, d’improvisation et de véritable créativité dans l’incertitude et du sens du lien.  

“Les soignants nous montrent déjà ce qu’il faut faire. Dans un monde de pauvreté de moyens, ils trouvent pleins d'expédients pour que cela marche quand même avec une ténacité extraordinaire, avec une modestie dans leur engagement extraordinaire, avec une improvisation extraordinaire, avec un sens du lien extraordinaire”.

 Les leçons de la crise

 Le libéralisme a apporté de très belles choses sur le plan de la dignité individuelle et de la liberté … mais nous a conduits à devenir très égoïstes. Nous voyons remonter la nécessité de prendre en compte le collectif et les liens et la crise nous met dans la pauvreté, parce que nos outils classiques de compréhension, dont la théorie économique, ne sont pas capables de nous faire anticiper ce qui va se passer. 

 Notre responsabilité, c’est de faire en sorte que cette crise sanitaire ne se transforme pas en crise économique, politique et sociale dramatique. 

 Nous devons nous préparer à réagir de la manière la plus souple, la plus habile, la plus agile, non pour faire du profit, mais pour nous relier les uns aux autres et inventer des réponses qui vaudront pour tout le monde. Or ce que je remarque dans les organisations, c’est qu’en même temps qu’il y a un discours en permanence d’être agile dans l’incertitude, il y a une exacerbation des process, des protocoles, des modes de contrôle. 

 Le contrôle est nécessaire, il est fondamental mais en même temps il est toujours strictement local et provisoire et il est sans cesse entouré d’incertitude. 

 Savoir jouer avec ce que nous ne savons pas, c’est capital comme compétence … La bonne nouvelle, c’est que nous savons le faire parce que nous l’avons tous fait déjà une fois avec notre premier pas.

 Si chacun de nous, à sa toute petite échelle, s’essaye à une posture de lien fondamental avec les autres en reconnaissant la pauvreté de nos outils et en inventant avec les autres autant que possible les moyens de répondre aux problèmes, y compris les plus quotidiens, et qu’on les partage sur les réseaux sociaux, nous contribuerons peut-être à ce qu’il n’y ait pas l’effet catastrophique. 

 Alors, dans le mois qui suit, que faire ? Redonner à quelqu’un le sentiment de pouvoir donner quelque chose est un enrichissement fondamental. 

 

Et toi, tu peux donner quoi ? Ce sera séminal pour la suite. 

 

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